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Quand Erik Orsenna célèbre la langue française

Je ne présenterai pas dans cet article l’œuvre incommensurable de l’écrivain et membre de l’Académie française mais je me pencherai sur son conte en six volumes dédié à la langue française rédigé avec philosophie et poésie entre 2001 et 2023 aux éditions Stock.
Lecture abordable à tout âge, je la considère même comme incontournable auprès de la jeunesse, ne serait-ce que pour l’histoire qu’elle aborde. Car au-delà de son statut d’académicien, il ne devient jamais moralisateur dans ses écrits. Quand Erik Orsenna célèbre la langue française, il laisse transparaître, purement et avec beaucoup de finesse, son amour pour les mots.

Perdre ses mots

Le premier volet, La Grammaire est une chanson douce, raconte l’histoire de Jeanne et de son frère Thomas qui ont fait naufrage et se sont échoués sur une île où ils ont perdu leurs mots. Grâce à Monsieur Henri, musicien, qui connaît bien les mots et leurs ritournelles, ils partent à la découverte de l’île. Ils vont petit à petit apprivoiser les mots, habitants de l’île, en découvrant la grammaire et la formation des phrases, avec les verbes, les noms, les articles, les adverbes, les adjectifs et toute leur composante. Erik Orsenna signe dans ce roman une déclaration d’amour à la langue française.

L’expression du possible

L’archipel des mots est soumis à la dictature de Nécrole qui entend bien semer la terreur et bannir toute forme de rêve et de liberté. Dans Les Chevaliers du Subjonctif, on retrouve Jeanne et Thomas qui n’ont pas du tout envie de subir le courroux de Mme Jargonos, ultime entrave à leur liberté qui tente de faire respecter les nouveaux programmes à la lettre. En échappant de justesse à la police, ils s’enfuient vers une île qui leur est parfaitement inconnue, celle du Subjonctif. Ils découvrent alors le mode (ou le monde) des mots insoumis, qui expriment le possible, le rêve, l’imaginaire, ou encore le désir.

Une langue accentuée

À force d’être dédaignés, mis à mal et laissés de côté, les accents grondent et préparent une importante grève. Dans La révolte des accents, Jeanne et Thomas vont partir à la recherche des accents volontairement disparus et vont entamer un périple quelque peu pimenté jusqu’à une lointaine vallée perdue aux confins du monde. La jeune femme comprendra alors le sens profond que signifie « accentuer sa vie » en faisant un joli parallèle avec l’amour.

Place à la ponctuation

Et le ton dans tout cela ? Comme en musique, dont l’apprentissage plaît décidément bien à Thomas, le rythme et l’intonation des phrases font partie intégrante de toute langue. Mais comment exprime-t-on clairement son intention dans une phrase, au delà des mots qui la composent ? Qu’est-ce qui la fait chanter, vibrer ? Et si on dansait retrace ici l’usage de la ponctuation ! Qu’elle serait effectivement plate notre langue sans points d’interrogation, d’exclamation, et sans les virgules, et les points pour clarifier notre récit, marquer des pauses et conclure chacune de nos idées. Jeanne, désormais adolescente de seize ans, a développé son propre commerce florissant : celui d’écrire pour les autres. De simples devoirs d’élèves maladroits à d’ambitieux discours politiques, la jeune fille va beaucoup apprendre de son frère en ce qui concerne la rythmique de la langue.

Un jeu d’enfants

Une fois passées en revue la grammaire, la conjugaison, l’accentuation et la ponctuation, La fabrique des mots revient sur le triste sort que Nécrole impose à l’archipel. Il a décidé, cette fois, de les supprimer et de les interdire, les uns après les autres. Afin de les sauver, Mlle Laurencin et ses élèves de CM2 vont se rendre clandestinement à la fabrique des mots. Ils vont alors apprendre à les façonner avec leurs racines, préfixes et suffixes. À l’image d’un véritable jeu de construction, ils n’arriveront bientôt plus à s’en passer !

Retour aux origines

Enfin, dans ce 6e volet, publié 9 ans après le dernier, Erik Orsenna se joint à son collègue académicien et professeur de linguistique Bernard Cerquiglini. Dans Les mots immigrés, ils reviennent sur l’étymologie des mots et sur toutes les langues qui composent la nôtre. Cette fois, la poésie du conte prend une dimension historique et géographique. Elle clôt une magnifique épopée linguistique qui nous en apprend décidément beaucoup sur le français et sur nous-mêmes.

J’ai volontairement décidé de lire ces six livres dans l’ordre chronologique même s’ils peuvent se lire dans le désordre. Cette magnifique déclaration d’amour à la langue française est un manifeste dédié au respect et à la valeur des mots. Cette collection, de plus, joliment illustrée, est tout simplement une invitation au voyage vers le pays des mots ! Voyage que je recommande à tous les lecteurs aventuriers, même aux plus timides d’entre vous.

Retrouvez prochainement d’autres ouvrages dédiés à la linguistique dans la rubrique : les livres outils.

Photo vignette : © Bigre !

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